Claude Henry – V2/début mars 2017)
La notion d’archipel a été souvent utilisée depuis trois ans dans le Collectif « Pouvoir citoyen en marche », continuation des « Etats généraux du pouvoir citoyen ». Elle est devenue pour beaucoup une « aide à penser » l’aventure intellectuelle et politique dans laquelle ce groupe s’est engagée face à la situation mondiale, courant 2013. Sans prendre le temps d’approfondir sa signification, même si nul n’ignorait qu’elle avait sa source dans la pensée du magnifique auteur Edouard Glissant, originaire d’une des îles de l’archipel le plus connu en France, celui des Caraïbes.
La notion évoquait tout de suite, pour qui la découvrait, une réalité tangible : celle de plusieurs îles rassemblées par une même géographie proche, mais que les chocs de l’Histoire avaient entrainé dans des cultures et des institutions spécifiques. Se servir de cette analogie parlait directement à l’esprit – on peut même dire au cœur – de celui/celle qui percevait la diversité de nos organisations et qui voyait avec tristesse la difficulté pour cet ensemble de devenir une large force socialement utile et reconnue, dès lors que chaque structure était souvent trop prise par son quotidien et ses propres histoire et références.
Alors que la capacité de conviction de la notion s’étendait, certaines critiques lui furent adressées, sans que soit toujours compris jusqu’où elle avait sa pleine utilité, et là où il faudra la compléter. L’heure est donc venue de prendre le temps de relire avec soin ses origines, le « complexe d’idées » dont elle est formée.
I – Le contexte de son usage aujourd’hui
On peut estimer que la pensée de Glissant vient à propos pour nourrir la réflexion de plusieurs des associations françaises désirant construire entre elles quelque chose de commun, pour peser sur les sphères du politique et des media, pour proposer la Société Civique ([1]). Et lever ainsi quelques difficultés rencontrées, au delà de passerelles qu’elles ont pu lancer entre elles, depuis le début des années 2010, telles la préparation des EGR ([2]), la construction de plusieurs réseaux (dont les Colibris et le Pacte civique), des opérations comme « Libérons les élections » – en 2012 -, plus récemment le Collectif de la transition citoyenne et son Festival annuel, et à partir d’octobre 2013, ce qui deviendra le Collectif « Pouvoir citoyen en marche » ([3]).
Certes, nous ne sommes plus dans un univers esclavagiste, mais nous savons que la démesure et la maltraitance de la société-monde – Glissant propose de parler de mondialité , laissant le nom de mondialisation pour désigner la globalisation financière – exigent de nous « redresser », de nous mettre en situation de « créer » un mouvement immense de métamorphose humaine (voir « La cause humaine » de Patrick Viveret). En nous « créolisant » ? En créant une nouvelle langue et une nouvelle culture ? Nous sommes, en tant que Société civique, face aux « continents » des forces politiques et médiatiques qui entendent avec peine ce que nous portons ; nous avons aussi beaucoup de mal à nous organiser. Comment devons nous chercher à exprimer notre propre parole et notre imaginaire commun ?
Dans chacun de nos regroupements, la question de la différence vient vite à l’esprit, puis quand nous devenons nombreux, celle de la diversité ; un point crucial apparaît alors : comment faire ensemble, se rassembler, se connaître ? Comment ne pas se laisser impressionné par le risque d’émiettement et de dispersion ? Et aussi, très vite, comment concevoir la gouvernance du regroupement…La crise de la représentation politique nous enjoignait à chercher à exprimer ce que portait en elle la société civile, les multiples alternatives développées en France depuis le surgissement de l’alter-mondialisme, sous les formes les plus diverses, de l’AMAP à la monnaie locale, du féminisme au retour du spirituel – bien au delà des tensions religieuses que l’on met en avant pour éviter de voir les aspects positifs de ce retour. Dans la plupart des domaines, des solutions, testées dans des réalisations d’ampleur significative, sont disponibles: agriculture, éducation, sante, qualité démocratique, finance solidaire, énergie, culture… Voir le petit livre « Et nous vivrons des jours heureux » Actes Sud.
On soutient ici que le « changement de paradigme » que nous recherchons nous met dans une situation qui n’est pas sans analogie avec ce que les dominés colonisés recherchaient et recherchent encore.
[1] On désigne sous ce terme la mise en commun de la société civile s’intéressant à la transformation sociale, de la société politique résolue à s’engager dans cette transformation et non à rester dans les seuls jeux de pouvoir, et de la société médiatique qui refuse de faire de la communication pour promouvoir les vertus du journalisme. Ce concept a été proposé par Patrick Viveret
[2] EGR Etats généraux du Renouveau, rencontres annuelles organisées à Grenoble pendant trois années (2010/2012), en janvier, par le journal Libération.
[3] Les organisations les plus actives dans « Pouvoir citoyen en marche » sont le Collectif Roosevelt, les Convivialistes, le Pacte civique, Pouvoir d’Agir, Le Labo de l’ESS, les Dialogues en Humanité, Chemin faisant…
II – Un examen attentif de la pensée d’Édouard Glissant,
Transmettre sans la trahir la pensée d’Édouard Glissant n’est pas simple, car, comme sa langue même, elle se développe en volutes successives et ses concepts principaux, tous faisant système entre eux, se trouvent dans des textes différents répartis dans divers livres – désignés ici par de simples sigles de repérage: POR « Poétique de la Relation », Gallimard, 1990 ; PR « Philosophie de la Relation », 2009; IL « Imaginaire des langues », 2010 (ces trois livres sont édités chez Gallimard).
On peut entrer dans l’univers mental d’Edouard Glissant de plusieurs manières, par intérêt pour les traces laissées par l’esclavage (Césaire, Nizan), ou par souci de connaître un imaginaire immense et bigarré, ou encore pour la beauté de la langue d’un des plus grands auteurs caribéens. Ou par tous ces chemins.
À titre d’exemple, et juste pour le plaisir de la lecture, voici comment en quelques phrases, il nous donne à voir un aspect de la beauté de l’île dont il est originaire.
« La plage du Diamant, dans le sud de la Martinique, vit d’une manière souterraine et cyclique. Dans les mois d’hivernage, elle se réduit à un couloir de sables noirs, venus on dirait des côtes d’en haut, là où la Pelée ramage ses frondaisons de laves brisées. Comme si la mer entretenait un commerce souterrain avec le feu caché du volcan. Et j’imagine ces nappées sombres en roule sur le fond marin, convoyant jusqu’à l’espace aéré d’ici ce que l’intensité du Nord a mûri de nuit et de cendres impassibles » (POR, page 135)
Puis un autre extrait, plus proche de notre intention actuelle :
« Penser que sa propre valeur entre dans un entrecroisement de valeurs, c’est un beaucoup plus grand, noble et généreux projet que celui de tenter que sa propre valeur devienne valable pour le monde entier » IL p 45
Raphaël Confiant a écrit sur Edouard Glissant, au moment du décès de ce dernier (février 2011): « Glissant est le premier, dans la sphère francophone en tout cas, à avoir analysé (et célébré) le processus de créolisation qui a donné naissance à nos sociétés, prenant congé d’un seul coup avec ce qu’il appelait nos arrière-mondes à savoir l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Mais prendre congé ne signifie nullement rejeter ou renier, comme insinuent certains esprits obtus, mais tout simplement vouloir habiter son lieu et son histoire.
Chercher à exprimer sa propre parole. Que nous le voulions ou nom, notre lieu de naissance est l’Habitation. C’est dans l’enfer esclavagiste que nos ancêtres se sont peu à peu redressés, qu’ils ont cessé d’être des sous-hommes ou des bêtes de somme et qu’ils ont créé de toute pièce une nouvelle langue et une nouvelle culture pour devenir des êtres humains à part entière. « Créole » vient du latin « creare » qui signifie « créer » ».
L’auteur de « Malemort », poursuit Raphaël Confiant, préférait partir à la recherche de ce qu’il a appelé « la poétique créole » c’est-à-dire cette manière particulière que nous avons, en tant que peuple, d’organiser notre discours, d’élaborer une rhétorique qui nous est propre.
http://blog.manioc.org/2011/02/hommage-edouard-glissant-par-raphael.html
Vient alors une question simple : Chacune de nos organisations de la société civique de transformation (SCT), tout en développant sa propre « poétique » ne peut-elle pas se penser, et être pensée, comme une ile d’un archipel, dans une dynamique de la Relation, telle que l’a proposée E.Glissant ?
« La poétique n’est pas un état du rêve et de l’illusion, mais c’est une manière de se concevoir, de concevoir son propre rapport à soi-même et à l’autre et de l’exprimer » IL p.44
Deux brèves citations supplémentaires vont nous rappeler à quel niveau l’auteur pose sa réflexion : celui d’une zone du monde dominée par la pensée coloniale drapée dans l’Universel, au regard duquel il veut construire une Relation plus égalitaire entre des Différents. Mais aussi dans un moment du monde où le métissage se généralise, dont il met en valeur la forme actuelle, qu’il appelle la « créolisation ». Relisons le :
« La différence, ce n’est pas ce qui nous sépare. C’est la particule élémentaire de toute relation. C’est par la différence que fonctionne ce que j’appelle la Relation avec un R ». IL page 91
« La pensée de la Relation ne confond pas des identiques, elle distingue entre des différents, pour mieux les accorder… Dans la Relation, ce qui relie est d’abord cette suite des rapports entre les différences, à la rencontre les unes des autres… La Relation se renforce quand elle (se) dit. Ce qu’elle relate, de soi-même et par soi-même, n’est pas une histoire (l’Histoire) mais un état du monde, un état de monde.
Il se réalise alors que la Relation n’a pas de morale, elle crée des poétiques et elle engendre des magnétismes entre les différents. La relation n’infère aucune de nos morales, c’est tout à nous de les y inscrire, par un effort terriblement autonome de la conscience et de nos imaginaires du monde » PR page 72
Mais pour qu’il y ait Relation, il faut que l’identité des différents qui se rencontrent soit assurée ; et Glissant de poser, bien avant les débats actuels sur les identités :
« L’identité n’est plus seulement permanence, elle est capacité de variation, oui, une variable, maitrisée ou affolée … L’identité comme système de relation, comme aptitude à « donner avec », est … une forme de violence qui conteste l’universel généralisant et requiert d’autant plus la sévère exigence des spécificités. Mais elle est difficile à équilibrer » POR 155/157
Si nous posons le métissage comme en général une rencontre et une synthèse entre deux différents, la créolisation nous apparaît comme le métissage sans limites, dont les éléments sont démultipliés, les résultantes imprévisibles. La créolisation diffracte…Elle emporte dans l’aventure du multilinguisme et dans l’éclatement inouï des cultures. Mais l’éclatement des cultures n’est pas leur éparpillement, ni leur dilution mutuelle. Il est le signe violent de leur partage consenti, non imposé. POR p 46/47
Le monde se créolise, toutes les cultures se créolisent à l’heure actuelle dans leurs contacts entre elles IL p32… Je peux changer en échangeant avec l’autre, sans me perdre et me dénaturer IL p 81
En continuité avec cet appel à « l’identité comme système de relation », Glissant propose alors les trois concepts qui nous ont paru si adéquats à notre propre situation : l’identité-racine, l’identité-relation et l’archipel:
L’identité-racine
– est liée, non pas à une création du monde, mais au vécu conscient et contradictoire des contacts de culture ;
– est lointainement fondée dans une vision, un mythe, de la création du monde ;
– est sanctifiée par la violence cachée d’une filiation qui découle avec rigueur de cet épisode fondateur
– est ratifiée par la prétention à la légitimité, qui permet à une communauté de proclamer son droit à la possession d’une terre, laquelle devient ainsi, territoire
– est préservée, par la projection sur d’autres territoires qu’il devient légitime de conquérir – et par le projet d’un savoir.
L’identité-racine a donc ensouché la pensée de soi et du territoire, mobilisé la pensée de l’autre et du voyage
L’identité-relation
– est liée, non pas à une création du monde, mais au vécu conscient et contradictoire des contacts de culture ;
– est donnée dans la trame chaotique de la Relation et non pas dans la violence cachée de la filiation ;
– elle ne conçoit aucune légitimité comme garante de son droit mais circule dans une étendue nouvelle
– ne se représente pas une terre comme un territoire, d’où on projette vers d’autres territoires, mais comme un lieu où on « donne-avec » en place de « com-prendre »
L’identité-relation exulte la pensée de l’errance et de la totalité. POR page 157/158
III – En quoi la pensée de Glissant nous aide t-elle à voir autrement la triade identité/ relation/ réseau, et à mettre en commun nos forces tout en mettant à distance nos « egos organisationnels » ?
Par delà le style flamboyant de l’auteur, on rejoint la tension vécue par nos organisations : convaincues, souvent à juste titre, de l’importance de leur raison d’être, héritières chacune d’une histoire souvent honorable, prisonnières parfois de quelque rigidité et de cicatrices internes mal fermées, elles voient bien la nécessité de se relier pour compter dans la transformation collective souhaitée par un très grand nombre d’autres structures, avec le sentiment qu’il faut privilégier ce qui rassemble et laisser en retrait – sans le nier – ce qui divise, si on veut aller vers un changement assez radical d’un monde divers et dangereux, affronté à des problèmes communs colossaux, l’épuisement des solutions de la mondialisation financière, la survie de l’humanité dans son éco-système, les flux migratoires, les nouveaux équilibres géo-politiques, etc… Dans la recherche de mutualisation que mène la société civile de transformation (SCT) dans nos pays, au sein de la grave crise quadruple du politique, de l’économique, du social et de l’environnement, et face aux pensées « continentales » des partis et aux pensées « communicationnelles » des médias, la métaphore de l’archipel va nous être très utile. Chaque entité de la SCT peut être pensée comme une île d’un archipel. Chaque grand réseau/plateforme peut être considéré comme un archipel plus ou moins abouti, avec les caractéristiques que l’on verra plus bas. Et des archipels d’archipels peuvent apparaître. La diversité de nos
organisations résonne bien avec l’image d’une multitude d’iles…parfois même avec celle d’une poussière d’îles…
Dans un archipel physique, il n’y a pas de centre, chaque ile construit son chemin, porteur de sa propre culture, de sa « poétique », dans son « lieu », ouvert aux autres, et en recherche de construction archipélique avec les « îles » les plus proches – ou avec des îles dans d’autres archipels. Il s’en suit des « créolisations » entre iles voisines qui s’étendent bientôt aux iles plus éloignées puis vers d’autres archipels. Bien que certaines îles portent plus que d’autres l’énergie de créolisation, toutes les îles et archipels sont travaillés par le désir de Relation.
Glissant n’a pas donné d’éléments concrets qui permettent d’expliquer l’émergence et le développement de l’archipel. On peut même dire qu’il n’a pas construit « théoriquement » ce concept. Il l’a défini plus comme potentialité, permettant d’échapper au risque de la pensée « continentale » qui peut être portée – et imposée – par certaines îles, qui peuvent avoir la tentation de reconstruire un « universel », à partir de leur « lieu », et au risque « d’un engluement, d’une dilution ou d’un arrêt dans des agglomérats indifférenciés » POR page 156
Dans cette perspective positive, chaque entité a son « lieu », sa « poétique », son identité. Cette dernière est entretenue comme identité-relation, à partir d’une identité-racine, respectée, mais guérie de tout désir de devenir universelle. L’identité-relation favorise la créolisation qui à son tour renforce l’identité-relation. L’appartenance à « mon lieu » et la relation sont alors « secrétées » ensemble. Alors l’archipel se développe et grandit.
C’est la nécessité de faire plus qu’une simple mise en réseau, de devoir et de vouloir s’organiser entre organisations de la SCT pour peser face à la crise politique, pas seulement en France, qui a déclenché l’intérêt de reprendre cette idée en tentant de la mieux construire, d’aller au delà de la métaphore.
C’est ainsi que, courant 2013, plusieurs organisations françaises se sont regroupées, avec un moment fondateur en octobre de la même année. Et depuis ce moment jusqu’à aujourd’hui, début 2017, elles ont fait vivre une forme organisationnelle originale, autour d’un « centre » représenté par un comité de « pilotage » qui a trouvé tant bien que mal son équilibre et son utilité. Les quelques limites rencontrées, une certaine sous-organisation en particulier, n’ont pas empêché une reconnaissance par l’extérieur de la pertinence de cette approche, dont on peut dégager, à partir de cette expérience, quelques principes.
L’énergie vient des îles elles-mêmes. Le niveau de l’archipel (le « centre ») n’est pas en surplomb. Il n’est pas fédérateur ; il est au service de la dynamique des îles.
Les îles, souvent, ont une connaissance limitée de l‘identité-racine de leurs voisines. Si la diversité des îles est vécue comme une force, il est nécessaire de se mettre en position de l’accueillir, de ne pas la considérer à priori comme « dispersive » , mais au contraire de construire les conditions pour qu’elle ne le soit pas. La reliance est donc primordiale ; elle demande des temps spéciaux, pour ne pas rester superficielle, et doit être conduite dans la durée. Elle passe beaucoup par les contacts directs, mais aussi des actions communes, qui renforcent les identités-relation.
En revanche, il est bon de demander à chaque personne qui investit du temps dans l’archipel de ne pas être le porte parole de sa seule individualité, mais d’être le messager, dans les deux sens, avec la ou les organisations dont elle se sent la plus proche Le « centre » de l’archipel doit être attentif à rester vide de « pouvoir de décision politique » ; ce dernier est issu des îles.
Cette alchimie particulière se construit au cours du temps, à travers échanges et actions communes. Sur une opération donnée, une île prend une position de « premier de cordée », les autres appuyant son action et mobilisant leurs propres membres. Mise
en situation de leadership pendant un temps, cette île met en visibilité son identité-racine et la mobilisation des autres la met en partage ; simultanément l’identité-relation est ainsi renforcée.
L’archipel fait vivre le principe de subsidiarité : les fonctions archipéliques sont celles que ne peuvent pas assumer seules chacune des îles.
S’il doit rester vide de pouvoir, le centre a un pouvoir « d’animation » de la diversité/cohérence entre les îles.
Pour cela, un petit groupe d’animation est nécessaire, assurant le lien entre les îles (dans les deux sens), impulsant et faisant vivre la démarche, avec l’appui et sous contrôle des îles.
Ce groupe est composé de représentants des îles et de quelques personnes compétentes, bénévoles et salariées, capables d’assurer les fonctions, outre du suivi quotidien, celles de construire une pensée et une communication collectives, des événements communs, de participer à une concertation avec d’autres archipels… Des moyens en temps humains et en ressources financières, même modestes, doivent être trouvés, de préférence auprès des îles. Le financement participatif, impossible naguère, est maintenant à portée de main. Les outils numériques collaboratifs sont mis le plus possible au service ces dynamiques
Les techniques d’animation sont aussi mises à profit: au cours du temps ont été pratiquées : les rendez-vous de la convivialité, les auditions partagées, la construction des désaccords, les mises en pratique de la qualité démocratique et du convivialisme…
Et aussi des techniques de développement personnel comme la révolution intérieure, en particulier la non-violence. Nous nous sommes beaucoup nourris de la réflexion sur les interactions entre transformation personnelle et transformation sociale
Un rapport apaisé au savoir, à la connaissance, et aux pratiques collaboratives – en se méfiant de la prise de pouvoir individuel – est nécessaire, sachant que nous sommes issus d’une culture qui sous-valorise la coopération et la fraternité.
Privilégier ce qui nous rapproche par rapport à ce qui nous éloigne. L’expérience de la construction de désaccords nous a appris que la recherche du cœur d’un désaccord – qui peut subsister, bien entendu – met en lumière tous les points d’accord.
Résumons :
Un archipel fabrique un équilibre subtil entre le désir de chaque île de garder son histoire, ses références, son fonctionnement (son identité-racine) et l’autre désir de la même île de se lier avec d’autres pour faire plus que ce qu’elle fait seule (construire son identité-relation), il faut penser d’abord une posture, puis des outils adéquats .Quand un archipel démarre, surtout dans une certaine urgence, il faut juste travailler la reliance et produire le minimum de contenu; quand l’archipel se développe, très vite, les îles demandent que soit accessible le résultat du travail qu’elles accomplissent en appui les unes des autres (ou des espoirs qu’elles partagent !). Il suffit alors de développer les mêmes outils, sans que le groupe d’animation de l’archipel– souvent appelé copil – ne prenne le « pouvoir politique»- celui-ci continue à venir des îles -, mais bien le « pouvoir d’animation », avec la capacité de trouver les ressources humaines nécessaires, normalement avec l’aide des îles. L’archipel peut se développer en accueillant d’autres îles. En soignant toujours la qualité relationnelle et la fluidité des engagements. Le développement de liens avec d’autres archipels est le mode à privilégier, avant de franchir – éventuellement – le pas d’un archipel plus vaste. Qui est, préférentiellement, un archipel d’archipels, chacun de ces derniers gardant son identité-racine et développant son identité-relation. Un copil nouveau doit alors être formé.
Le modèle de l’archipel est un modèle fractal.
IV – En quoi les limites de cette expérience du Pouvoir Citoyen en marche, dans la conjoncture 2017 nous indique un chemin sur le plus long terme ?
IV – 1 Alors que se déroule la séquence électorale de 2017, avec les lourdes incertitudes que peut engendrer un milieu politique décrié et émietté, plusieurs projets de « grand rassemblement » des citoyens se font jour. Cette situation est vraiment une première. La portion de la société civile qui désire un changement significatif ne s’est jamais retrouvée dans une telle situation depuis la guerre, et elle doit inventer, dans une certaine urgence, les moyens de s’organiser pour rassembler ses convictions, se faire entendre à travers un milieu médiatique qui, sans l’ignorer, émiette les informations sur les initiatives qu’elle porte, tout occupé qu’il est à transmettre en continu les jeux de pouvoir entre écuries politiques, et les informations sur les désastres du monde…
IV – 2 Il faut maintenant s’interroger, avant de conclure, sur les limites de l’archipel, tel que nous lui avons donné vie. Celui-ci est un outil de rassemblement, dans une situation hautement nouvelle, nous l’avons dit, produite par l’affaissement des partis politiques dans leur ambition à inventer le monde qui vient et à la cécité des forces économiques dominantes, en particulier financières.
Cet outil de pensée n’éclaire pas sur le fantastique travail institutionnel dont notre pays a besoin pour s’organiser autrement, bien qu’il permette d’en éclairer les principes. Il ne traite pas des nouveaux équilibres de droits et de pouvoirs dans une société nouvelle ; il est adéquat comme outil de résistance, de créativité citoyenne, d’exigence de régulations nouvelles, donc de nouveaux rapports de force. En revanche, ce n’est nullement un outil de régulations quelque peu pérennes, qu’elles soient nationales ou géo-politiques.
Nous voulons que le « milieu politique » évolue profondément, non pas le remplacer ; aider à le reconstruire par la présence et la poussée citoyenne. Nous avons œuvré pendant assez longtemps à la mise en visibilité de nos réussites pour vouloir bousculer ce milieu auto-reproduit, et la part des média qui l’accompagne en lui servant de chambre d’écho.
Nous sommes convaincus qu’une autre manière de faire de la politique est non seulement nécessaire, mais possible. Nous soutenons l’action de nombreux élus – pas de tous !
C’est dans cette phase très particulière que nous expérimentons l’utilité de l’essor de nouveaux archipels citoyens et de leur fonctionnement en archipel d’archipels. Ceci pourra être très utile dans le moyen terme qui suivra la séquence très particulière de l’élection présidentielle ; d’abord pour les autres séquences électorales, mais aussi bien au delà ; dans des conjonctures qu’il est bien impossible d’imaginer, vu l’importance de la première élection et de son poids -excessif – dans la vie de notre pays. Si nous réussissons ces séquences proches, en participant à écarter les projets les plus sombres, les archipels que nous aurons construits auront sans doute redonné à nombre de citoyens le goût de prendre plus de temps pour la vie collective car ils auront perçu qu’ils peuvent être entendus et que leur expérience peut servir.
Le développement de ce nouvel intérêt pour la chose publique permettra alors de nouvelles formes de pratiques politiques, dès lors qu’aura pu être écarté, espérons le, les oiseux de malheur qui se nourrissent de nos faiblesses collectives actuelles.
La « réappropriation citoyenne du politique » n’est pas la tâche d’une année ; c’est un processus long. Nous en sommes au début. Les mises en pratique du concept d’archipel nous a aidé à faire les premiers pas et à engager les suivants.
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